LA FEMME COMME CHAMP DE BATAILLE
MATEI VISNIEC
PUBLIC CONCERNÉ
DE LA 3ÈME À LA TERMINALE
DURÉE DU SPECTACLE
1h30
DÉBAT AVEC UN HISTORIEN
ET UNE MILITANTE FÉMINISTE
OU AVEC UNE ONG PARTENAIRE
40 mn
INTERPRÉTATION
Audrey LANGE
en alternance avec
Marie-Pierre COTARD
Lucilla SEBASTIANI
MISE EN SCÈNE
Lucilla SEBASTIANI
CRÉATION
SAISON 2017/2018
PISTES PÉDAGOGIQUES
•Le massacre de Srebrenica : prémices d’une forme d’islamophobie
•La montée nationaliste
•La destruction des communautés
•Le nihilisme de l’histoire
•La guerre en ex-Yougoslavie : regard de la communauté européenne
•Le droit à la différence, acceptation de l’autre
•Le viol des femmes, arme de guerre
•Le rôle et la place des femmes dans les guerres
•Le droit des femmes
•La parole, outil de guérison
REVUE DE PRESSE
Par Maxime Lerolle
La femme comme champ de bataille. Comment dire le viol ?
Ce qu’il y a de plus intéressant dans la mise en scène de Lucilla Sebastiani, c’est sa manière de montrer, plutôt que de dire, le trauma du viol.
Dans La Femme comme champ de bataille, un monologue à deux, Lucilla Sebastiani met en scène un étouffant huis-clos sur le trauma du viol.
C’est d’abord le noir et le silence. Puis, quelques citations de Simone Veil, Elie Wiesel et Primo Levi rattachent la tragédie bosniaque à l’horreur qu’inspire tout génocide. Enfin, en clair-obscur, se lève une timide lumière. Sur scène, un décor bringuebalant, de bric et de broc : deux portes bancales, un miroir penché, un lit sommaire. Et deux comédiennes, l’air hagard.
L’une, Audrey Lange, joue Kate, psychologue américaine envoyée en Europe, d’où provient sa famille irlandaise, pour aider les victimes de viol, qui en vient à s’interroger sur sa propre histoire. L’autre, Lucilla Sebastiani, également metteuse en scène, incarne Dora, une Bosniaque victime de viol collectif. Pendant la première partie, il n’existe entre elles aucun dialogue. Le texte du dramaturge roumain Matéi Visniec s’apparente à une série de monologues, un véritable dialogue de sourds. Dora se mure dans le silence ou cherche la provocation, Kate se contente de dicter des fiches d’observations de son « sujet ».
La première partie de La femme comme champ de bataille est de loin la plus intéressante, car elle trouble jusqu’aux fondements du théâtre. L’art du dialogue se voit ici mis en crise. Face à l’impossibilité d’une communication verbale, la mise en scène expérimente d’autres matériaux scéniques pour exprimer ce que Dora ne peut raconter. À commencer par l’éclairage. La lumière, intimiste, caresse les silhouettes, effleure les peaux, isole les visages. Elle met en avant une expérience du corps, qui avant d’être dite, a été vécue. Expérience qui se prolonge dans le décor. Comme le note Kate, « pour [Dora], le viol continue », et prend la forme du plateau. Dans les recoins tortueux, les nappes de pénombre, les meubles anguleux, se niche le souvenir traumatique, qui déconstruit l’espace-temps, à la manière du cinéma expressionniste allemand d’un Cabinet du docteur Caligari.
Exploration des tréfonds de la psyché
Enfin, et surtout, par le jeu des comédiennes. On connaissait déjà Lucilla Sebastiani pour ses monologues qui explorent les tréfonds de la psyché : après L’Inattendu en 2014 et Le Dernier Jour d’un(e) condamné(e) l’an passé, voilà qu’elle met en scène – pour la première fois – un monologue à deux. Audrey Lange ne lui donne pas la réplique ; en parallèle à l’histoire de Dora, elle revient sur les fantômes de sa propre famille, retrouvant dans les cadavres qu’elle extrait des charniers les pierres que son grand-père déterrait des champs irlandais.
De temps à autre les monologues se croisent, pour peu à peu s’apprivoiser, jusqu’à culminer dans un dialogue fantasque qui énumère les clichés – tous plus idiots les uns que les autres – envers les peuples des Balkans.
Peut-être l’usage de vidéos est-il de trop. Si elles apportent indéniablement un souffle à cet étouffant huis-clos, elles contribuent également à l’arracher à son propre drame, à l’universaliser au lieu de plonger encore plus dans la mélasse psychologique.
Car ce qu’il y a de plus intéressant dans cette mise en scène, c’est sa manière de montrer, plutôt que de dire, le trauma du viol. A l’impossible récit, elle substitue une fragmentation du corps, éclaté par la lumière, dispersé dans les objets, oblitéré par les mots. Sans doute, à l’heure où les viols comme armes de guerre se poursuivent en Syrie et dans tout conflit interethnique, le meilleur moyen de témoigner pour de muets témoins.
LES SCENES ACTUELLES SANS TABOU NI TROMPETTES
Par André Baudin
THEÂTRE AU LYCEE : LA FEMME COMME CHAMP DE BATAILLE
CRITIQUE. THEÂTRE AU LYCEE : LA FEMME COMME CHAMP DE BATAILLE – de Matéi Visniec
Cie L’Embellie Turquoise – Lycée Teilhard de Chardin de Saint-Maur-des-Fossés
Dans le cadre des actions mises en oeuvre dans les académies, le théâtre a fait son entrée dans les programmes d’enseignement des Lettres des élèves du lycée Teilhard de Chardin de Saint-Maur-des-Fossés en banlieue parisienne, avec « La Femme comme champ de bataille », une pièce de Matéi Visniec présentée par L’Embellie Turquoise.
Cette compagnie théâtrale professionnelle (1) a été créée en 2012 à l’initiative de la comédienne franco-italienne Lucilla Sebastiani qui a choisi de privilégier des textes de sens façonnant la profondeur de l’être humain. Après « L’inattendu » de Fabrice Melquiot qui aborde le travail de deuil d’une relation amoureuse dans un couple mixte sur fond de racisme et « Le dernier jour d’un(e) condamné(e) », une adaptation au féminin du plaidoyer de Victor Hugo pour l’abolition de la peine de mort, créée au Festival d’Avignon en 2015 (2), « La Femme comme champ de bataille » est la troisième création de la compagnie (3).
C’est un huis-clos sur le viol comme arme de guerre.
Le décor, une pièce qui ressemble à un champ de bataille, avec deux portes bancales, un miroir penché, un lit sommaire, et deux comédiennes prostrées, l’air hagard, qui nous font découvrir l’indicible. En créant cet univers sombre avec un jeu de lumières subtil jouant sur le clair-obscur, Lucilla Sebastiani signe une mise en scène radicale qui comble par sa dramaturgie les silences et les faiblesses de la pièce sur l’origine de cette barbarie qui s’est généralisée dans les Balkans en proie à la pire des guerres civiles. L’humanisme réduit en peau de chagrin après le dépeçage voulu et organisé de la Yougoslavie, tout est alors devenu possible. Le masque hideux du nationalisme s’est substitué à celui du « vivre ensemble ».
« Le sommeil de la raison engendre des monstres », proclamait Goya dans une eau-forte qui est devenue l’une des gravures parmi les plus célèbres du siècle des Lumières.
Nous y sommes. Lucilla Sebastiani dans le rôle de Dorra interprète avec une grande profondeur d’âme cette femme violée, souillée, meurtrie dans sa chair, avec toute sa violence et son juste ressentiment. Audrey Lange, froide et technique en psy américaine des charniers, démontée en ivrogne momentanée, émouvante lorsque le visage ruisselant de larmes attrape la lumière dans l’ombre du drame, stupéfiante dans tous les registres, fait plus que lui donner la réplique. En parallèle à l’histoire de Dorra, elle purge sa mauvaise conscience en revenant sur les fantômes de sa propre famille ; elle retrouve dans les cadavres qu’elle extrait des charniers « les pierres » que son grand-père déterrait des champs irlandais.
Un débat a suivi l’évocation monstrueuse de ce drame historique que « l’Europe de la paix », peu fière de la responsabilité qu’elle porte dans ce déchaînement nationaliste, aimerait bien passer sous silence. La plupart des élèves ignoraient d’ailleurs à peu près tout de ces horreurs. Ils ont découvert ce jour-là un épisode peu glorieux de leur histoire. Et devant ce constat, un prof d’histoire s’est écrié : « J’espère qu’avec ces représentations, la guerre des Balkans entrera enfin dans les manuels scolaires, car jusqu’à présent, pour les lycéens, l’Histoire s’est arrêtée à la fin de l’Union Soviétique ! »
(1) La compagnie est présidée par Bruno Lombard, par ailleurs directeur de la gestion du Monde diplomatique et membre du Directoire.
(2) 80 représentations dont 25 en établissements scolaires.
(3) Une quatrième création, « Médée du fond des mères », est en préparation.Elle traite de l’infanticide : qu’est-ce qui amène une mère qui aime ses enfants à basculer et à aller jusqu’à les tuer ?
Par Victoria Fourel
La Femme comme champ de bataille, la femme comme réceptacle de la haine, nouveau terrain de domination et de dépossession de soi. Nouvelle façon de toucher l’ennemi dans ce qu’il a de précieux, dans ce qu’il a d’intime, de familier. Les guerres inter-ethniques autour du monde sont le théâtre de ces pratiques inhumaines, de cette nouvelle arme de guerre.
Le sujet bien sûr, est passionnant, incompréhensible, bouleversant.
Sur scène, deux comédiennes prennent leurs rôles à bras-le-corps. On note la performance de Lucilla Sebastiani, qui tient très bien sa Dora, femme blessée, morte déjà peut-être à l’intérieur.
Ce spectacle permet que ce sujet ne soit pas oublié, que l’on rappelle qu’il est théorisé, que le viol des femmes au milieu des débris de la guerre n’est jamais un accident, un dommage collatéral, mais bien une atteinte à un peuple, conscient, réfléchi.
TARIF :
1 190 € jusqu’à 100 élèves
puis 10 € /élève supplémentaire
Débat offert